Hommage de Jean Jaurès aux patrons d’entreprise

Texte authentique de Jean Jaurès publié dans la Dépêche de Toulouse le 28 mai 1890.
Notre Président a relevé avec intérêt l'envoi de notre Administrateur, François TARD, de ce texte qui a fait l'objet d'une réédition en 1980.

Jean_Jaures“Il n’y a de classe dirigeante que courageuse. À toute époque, les classes dirigeantes se sont constituées par le courage, par l’acceptation consciente du risque.
• Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer.
• Est respecté celui qui, volontairement, accomplit pour les autres les actes difficiles ou dangereux. Est un chef celui qui procure aux autres la sécurité en prenant pour soi les dangers. (voir additif en bas de page)
Le courage, pour l’entrepreneur, c’est l’esprit de l’entreprise et le refus de recourir à l’État ; pour le technicien, c’est le refus de transiger avec la qualité ; pour le directeur du personnel ou le directeur d’usine, c’est la défense de la maison ; c’est dans la maison la défense de l’autorité et, avec elle, celle de la discipline et de l’ordre.
Dans la moyenne industrie, il y a beaucoup de patrons qui sont à eux-mêmes, au moins dans une large mesure, leur caissier, leur comptable, leur dessinateur, leur contremaître : et ils ont avec la fatigue du corps, le souci de l’esprit que les ouvriers n’ont que par intervalles. Ils vivent dans un monde de lutte où la solidarité est inconnue.
Jusqu’ici, dans aucun pays, les patrons n’ont pu se concerter pour se mettre à l’abri, au moins dans une large mesure, contre les faillites qui peuvent détruire en un jour la fortune et le crédit d’un industriel. Entre tous les producteurs, c’est la lutte sans merci : pour se disputer la clientèle, ils abaissent jusqu’à la dernière limite dans les années de crise le prix de vente des marchandises, ils descendent même au-dessous des prix de revient, ils sont obligés d’accorder des délais de paiement démesurés qui sont, selon leurs acheteurs, une marge ouverte à la faillite et, s’ils leur survient le moindre revers, le banquier aux aguets veut être payé dans les vingt-quatre heures.
Lorsque les ouvriers accusent les patrons d’être des jouisseurs qui veulent gagner beaucoup d’argent pour s’amuser, ils ne comprennent pas bien l’âme patronale.
Sans doute, il y a des patrons qui s’amusent, mais ce qu’ils veulent avant tout, quand ils sont vraiment des patrons, c’est gagner la bataille. Il y en a beaucoup qui, en grossissant leur fortune, ne se donneront pas une jouissance de plus ; en tout cas, ce n’est point surtout à cela qu’ils songent. Ils sont heureux, quand ils font un bel inventaire, de se dire que leur peine ardente n’est pas perdue, qu’il y a un résultat positif, palpable, que de tous les hasards il est sorti quelque chose, et que leur puissance d’action s’est accrue.
Non, en vérité, le patronat, tel que la société actuelle le fait n’est pas une condition enviable. Et ce n’est pas avec les sentiments de colère ou de convoitise que les hommes devraient se regarder les uns les autres, mais avec une sorte de pitié réciproque, qui serait peut-être le prélude de la justice !”

Jean JAURÈS


Additif : De nos jours, est un vaillant Capitaine celui qui arrive à faire progresser son entreprise qu’il dirige en dépit des montagnes d’obstacles dressés sur sa route par l’armée des gens qui vivent à ses crochets et qui, n’ayant jamais mis les mains dans le cambouis, prétendent s’immiscer dans la conduite des entreprises : législateurs, normalisateurs, “réglementeurs”, contrôleurs, dirigeants technocrates.
A quand les Grandes Ecoles qui formeront des Grands Capitaines d’Entreprises que l’on se doit de fidéliser. Dès leur sortie de l’Ecole, il conviendra de les envoyer sur le “Tas” travailler avec les ouvriers, mettre la main à la pâte et créer ainsi le respect mutuel employeurs/employés et mettre en pratique “l’association capital/travail” (du Général de Gaulle à Londres) vers la PARTICIPATION ?

Pierre CHANOINE-MARTIEL

Président de la S.E.P

La tribune du progrès : N°55 Janvier - février - mars 2015