“Copié-Collé” et plagiats
ou Faudrait-il revenir à l’Ecriture Manuscrite ?

par René GAYRARD - Normalien, Agrégé

gayrardA l’approche de mes 80 ans, il m’arrive souvent d’avoir des insomnies que je résous d’ordinaire par le calme et la sérénité de quelque “musique classique” accompagnée d’un bol de lait ! Je fus un proche de Pierre Mendès France, étant aux Etudiants Radicaux en arrivant à Paris en 1956...
Mais, il y a peu, rien n’y faisait ! Aussi, je me suis calé dans mon fauteuil, face à la télévision, espérant que la nullité ordinaire des émissions, dont nationales, conduirait mes neurones à l’état d’endormissement propice au repos que je souhaitais !
Eh bien non ! Je me trompais ! car je tombais sur la réédition d’une émission de l’année précédente, consacrée au sujet que j’aborde ici !
Ainsi, j’appris qu’en diverses Universités où l’on prétend juger les Etudiants sur des “Travaux Personnels” qu’on leur donne à réaliser, on s’était aperçu que le travail personnel résidait davantage dans le découpage et la réorganisation de textes antérieurs, lus par les dits Etudiants, que dans l’inventivité de leur pensée propre. Certes, le camarade d’enfance de ma grand-tante maternelle, l’Apollon de Belhac a écrit, et il savait de quoi il parlait : “Le plagiat est à la base de toute littérature, exceptée la première, qui, d’ailleurs, est inconnue”. C’est, peut-être, ce qui fait en partie la différence entre Scientifiques et Littéraires, car cela revient à dire, qu’en littérature, on note la “qualité” de la tricherie, qui permet de masquer les origines.
Je ne sais ce que l’ami Jean d’Ormesson en pensera, mais cela nous donnera peut-être l’occasion d’une “dispute” au sens ancien et littéraire du terme, évidemment.
Il est vrai cependant, qu’en habillant de Français bien des Fables d’Esope, Jean de la Fontaine, natif de Château Thierry (où sa maison natale a été transformée en Musée) a fait oublier à la plupart d’entre nous l’auteur grec initial, un certain Esope du VIème siècle avant notre ère, en ce cas contemporain de Pythagore et de la création de ses confréries, suivant d’une génération Thalès de Milet, mais auteur sur lequel on n’a guère d’informations précises ( même pas “déductives”), car en ces périodes anciennes précédant PERICLES, l’histoire confine souvent aux Légendes indicatives d’existence, mais non de la période concernée. Dès lors, suivant le point de vue de Giraudoux, ESOPE lui-même avait peut-être “pompé” sur des auteurs le précédant. Cependant, selon toute apparence, ce n’était pas pour avoir une meilleure note à l’examen de fin d’année de l’Université.
A ce sujet, notons, si je puis dire, que les formes d’examens retenues pour les Hauts Concours Français de Grandes Ecoles, à l’exemple de ceux d’agrégations, interdisent tout document autre que ceux qui sont éventuellement fournis avec le sujet. On juge donc ainsi des capacités propres des candidats quant à leurs facultés de compréhension des sujets, comme de réunir rapidement en leur esprit les éléments utiles à la résolution des questions ou problèmes posés par leurs dons, cultivés ou non, d’exposer clairement à des tiers les solutions qu’ils proposent, soit “in fine” la possibilité de diriger un groupe ! L’oral intervenant alors pour s’assurer de bonnes possibilités de communication humaine, nécessaires dans de telles fonctions. On a sans doute tort de rejeter quelque peu ces modalités actuellement. Il est vrai que seule une minorité est passée par là, y compris dans le corps enseignant des Universités, et que la majorité ne va pas porter au pinacle ce qui lui est étranger. Mais, le résultat est un abaissement d’ensemble des niveaux intellectuels par refus de la “recherche permanente de qualité”, seule garante de Progrès.
Sans doute, et notamment devant la concurrence économique étrangère, faudrait-il revenir à de telles méthodes que l’on disait autrefois “Républicaines”, car garantissant aussi l’égalité des chances tout en sélectionnant les meilleurs et meilleures, seuls susceptibles de se dégager par leur fierté d’influences mercantiles extérieures et de résoudre les difficiles problèmes du Futur Terrestre qui attendent les prochaines générations. Mais, revenons à notre sujet.
Or donc, on se serait aperçu que dans les travaux soi-disant “personnels” de certains étudiants, se glissaient parfois, non seulement des idées “extra personnelles”, ce qui, à mon sens, n’est pas fondamentalement répréhensible, car il faut bien qu’ils apprennent ce qu’on leur dit pour pouvoir, éventuellement, l’appliquer ou le critiquer plus tard; mais “carrément”, des parties de textes d’auteurs extérieurs que les techniques informatiques, que je connais bien pour avoir été des pionniers dès 1960, permettent effectivement de “récupérer”. D’abord en enregistrant dans une “mémoire bibliothèque”, ensuite en découpant à volonté et en répartissant dans une “mémoire intermédiaire”, où l’on va ordonner les différents apports de diverses sources, puis, ayant tout compacté avec les éléments de transition ou fonctions entre ces paragraphes inhomogènes, on passe à l’impression pour le “rendu” du travail.
Ceci est bien du “Copié-Collé” que l’on peut éventuellement accepter comme travail de “recherche bi-bliographique”, à condition que l’auteur le présente ainsi et ne prétende pas avoir apporté seul les dites pensées. Outre l’aspect moral qui, sans citer les sources, ne serait pas acceptable, cet exercice de compilation ne prépare pas à la faculté de prise de décision qu’on est, en principe, en droit d’attendre d’un Diplômé de l’Enseignement Supérieur. Et l’on comprend donc que certains établissements se soient inquiétés du problème et aient lancé des Equipes d’Informaticiens sur ces nouveaux problèmes, en vue de détecter et d’éliminer à terme, de telles pratiques. C’est ce que j’ai appris l’autre nuit.
Mais pour détecter cela, il faut que le texte remis ou transmis, désormais dactylographié au travers d’un ordinateur, présente quelques particularités susceptibles d’attirer l’attention ; et par exemple, des change-ments de “style” entre divers paragraphes. Vu l’importance des mémoires de nos “ordinateurs centraux” actuels, ce n’est pas fondamentalement impossible, mais cela nécessite des “logiciels” fort compliqués, donc coûteux à réaliser par la technicité des intervenants et le temps passé à les construire. Toutefois, ce genre de logiciels peut-être également utile en d’autres secteurs où l’on recherche la Vérité. Aussi n’est-il pas inutile qu’on y travaille et qu’on les peaufine.
Ceci étant, la détection effectuée, s’il y a eu plagiat, qu’il soit singulier ou pluriel, il faut, pour le prouver, déterminer et identifier le ou les textes recopiés. Ce qui implique de les avoir en mémoire par ailleurs, par exemple dans un autre ordinateur de grande capacité ou particulièrement orienté vers le secteur travaillé. Je ne vois pas d’inconvénient à la chose, car l’honnêteté est toujours le véritable fondement de tout progrès, y compris pour l’auteur du travail présenté.
Mais arrivera-t-on à enregistrer tous ces textes que l’on propose à la sagacité des Etudiants ? N’y a t-il pas là un risque “d’inflation” non maîtrisable, qui occupera des équipes de haute technicité, qui pourraient être utiles en d’autres secteurs, pour prolonger et développer d’autres recherches ? Cela vaut la peine qu’on se pose la question. Mais vers quel genre de solution s’orienter alors ?
Paradoxalement et avec humour, je proposerais éventuellement de revenir à l’écriture manuscrite, avec nos lettres “carolines”, que Charlemagne aurait dessinées en apprenant à lire et écrire sous la direction de Paul Diacre, Alcuin ou Théodulfe. Car, si l’on maîtrise l’analyse de formes par ordinateur, ce qui permet la reconnaissance des écritures; il est très difficile, au contraire des lettres d’imprimerie, de faire du Copié-Collé invisible avec des manuscrits. Cela, vu les jonctions entre les lettres et de même, les variations naturelles de l’écriture, d’une phrase à l’autre, sinon d’une ligne à l’autre et, bien sûr, d’un “scripteur” à un autre !!! Ainsi, tout Copié-Collé serait immédiatement apparent. Mais, à l’évidence, vu les “gribouillis manuels” ordinaires, on ne s’orientera pas de sitôt vers un tel retour. Alors, comment opérer sans jouer aux Gendarmes ?
Sans doute et comme évoqué précédemment, en revenant à d’autres types d’épreuves, tels que ceux adoptés par les Agrégations et les Concours Grandes Ecoles. Sans doute aussi, par la pratique “d’examens blancs” dans des conditions similaires qui, peu à peu, habituent les Candidats à ne pas tricher. Sans doute également, en éliminant autant que possible les exemples et donc en prenant des sanctions graves et publiques lorsque de telles anomalies sont détectées, à l’image de ce que l’on essaie de faire dans le sport. Car, si l’on ne rend pas publiques fautes et sanctions, on crée implicitement un encouragement inverse, et tout finit par être permis, y compris au plus haut niveau apparent.
Mais, revenant ainsi aux plagiats et à la nécessité de s’en “déshabituer”, encore faut-il que les “contrôleurs désignés”, assistés ou non d’appareillages, soient capables et en “état mental” d’en accepter la possibilité. Devant un Personnage Important ou supposé tel, on aura tendance à le suivre et l’on imaginera difficilement qu’il puisse avoir “copié”. Ainsi, comme je l’ai exposé autrefois (1991-92) dans trois articles de la Revue CANAL.N.7 Toulouse, classés à la Bibliothèque de la Royal Society de Londres, que j’ai portés en annexe du travail sur la Mécanique Ondulatoire, que j’ai réalisé plus récemment et que François TARD a eu le courage de lire et la gentillesse de commenter dans un précédent Bulletin. Ainsi, jusqu’à ces articles, personne n’avait vu, ou osé observer, que la formule dite d’Einstein, était la copie mathématique et physique (même nature générale des Grandeurs.) de la formule du “Module de Young” donnée cent ans avant par le Génie Anglais. Y a t-il plagiat ou non ? A 79 ans et ayant commencé à enseigner à Sup Aéro Paris à 24, j’attends que mes très chers Collègues réagissent. Car, un jour, la question sera posée, en plein Amphi, par quelque étudiant.
Cher lecteur, oeuvre de tout ton poids pour que l’honnêteté pénètre partout.
Et ne t’inquiète pas pour le descendant de l’ancienne famille de Toulouse. Les siècles l’ont habitué aux difficultés.

René GAYRARD

Vice-président SEP devenu Délégué Général à la Présidence (Cause éloignement géographique)

La tribune du progrès : N°57 Octobre 2015